Processional, the shadowed side, part 7

1916-1917 Carnet La Grâce

La Grâce

Comme une mamelle gonflée, comme un ventre lourd d’espoir (et Claire d’écume trifourchue, l’étrave hors la matière dense, torve, fuyante, toujours semblable), l’étoffe plastique court, coudée aux ruées arc-boutantes d’orage.

Debout je barre, dos au sillage—A droite glisse la coque hors, à gauche lèche la mer. Ainsi Droit vers les îles non-sonnantes,qu’emmitoufle d’or le sillage embué du char céleste.

Qu’ai-je besoin de rames. Bon pour les ouvriers suants, courbés, les pauvres attelés à ce morceau de bois. Debout, je barre je hume le vent qui grince et hulle et lèche rauque ma face de Maître

Oh l’enivrement, le soûlement de ma superbe repue !

Qu’est-ce. ! . . . Les cordes alternativement roides et floches—A gauche ne lèche plus la mer

La coque bourgeoise mouille à droite sa ligne.

Qu’est-ce ? L’étoffe aplatie se ride et tombent, lamentables ses bajoues

Ah Dieu ! Ce n’était pas moi, le barreur qui faisait bondir la barque sur l’immense

ni ce vil cordeau, le mien ni l’étoffe pendante, le mouchoir sale, le haillon morne, le mien

Ce n’était pas moi, le barreur, mais

l’air, l’air venteux, libre, que nul n’a jamais saisi, ni emprisonné, ni asservi et que je croyais moi, naïf, chétif, esclavager sous cette loque comme d’un filet le papillon !

Septembre 1916.

Et je suis aussi attelé au joug

Et je suis aussi attelé au joug, avec les autres, dans la masse—Et nous tournons lentement sur place comme les esclaves des meules

Et gicle la sueur qui dans l’ahan du travail poisse.

Le grain se moud. Le grain se moud.

Et quand nos nerfs sont par trop tirés, le repos, et, chaque jour, tous ensemble, irrévocablement, le pain de force qui, entré, ne sort pas : La Nourriture qui nous assimile et sépare de nous l’excrément

Et les riches et les libres et les sages du dehors regardent. Par la porte ils rient dans leur soleil :

“La glaise remue sous vos pieds pesants comme une mer solide. Vous faites des kilomètres . . . sur place, tout tendus vers un but qui n’est point—(qui de nous le voit ?)[1] Les cordes de votre cou tirés[2] comme des câbles. Vos nerfs gonflent. Vos yeux saillent, fixés sur rien. Mais vous allez mourir d’apoplexie.

Le grain se moud. Le grain se moud.

Tandis que nous en cent mètres nous prenons ceci. Encore cent mètres cela et toujours ainsi. Vous des kilomètres et les mains vides.

Selon le désir du jour et de l’heure nous prenons ceci, et le reniflons, et des yeux, et tous disent ‘Il possède’. Alors nous sommes heureux.

Et vous dans les oreilles la cire. Des orbites vides, les poings liés à l’arbre grinçant.[3] Vous n’avez donc nul désir !”

Le grain se moud, il tombe.

Et dans leur soleil, le rictus de leurs bajoues rouges comme des outres luisantes et saute et glougloute leur menton triple dont les fanons pendent comme des goitres

Et leur ventre pète, tendu comme un tambour.

Il tombe toujours le grain.

Et pourquoi répondre. Pourquoi vider du bruit dans leur vide. Ils pouffent parce qu’ils voient une pierre qui tourne sur une autre et ils n’en connaissent pas l’usage, comme l’enfant qui s’amuse aux[4] majuscules grotesques d’une Apocalypse qu’il ne peut lire

Le grain tombe il germe.

Septembre 1916

De la grâce en allégorie[5] d’une Cité close que ses habitants désertent pour y retourner tôt après.

Hautes les murailles gardiennes de la ville non sonnante, Tenaces aux ruées stériles des glaises encercleuses, tout ventaux barrés. Dedans, l’ordre muet : Les rues, en ondes stables, tranchées de canaux rayonnants, et toute et chaque maison, volets ouverts, aux pignons vers l’unique flèche, la cathédrale au gothique ferme, assise, blanche, dans le bleu inaltérable––

Oh ! Les avenues, les rues nettes vers ce point, comme les rayons mathématiques au Centre. Sous le porche d’icône, la tiédeur aspirante des voûtes, l’azur-nuit d’encens long refroidi. L’or cligne, caressé de pénombre. Rose-gris s’érige, monolithe l’autel qu’âme l’ordonnateur des aîtres, Dieu-ami de la Cité. . . Mais pourquoi par milliers, ces sièges vides, ces longs rangs de bois, et la voix tue de l’orgue, intense. Et là, ce voyageur long-vêtu, (au dos besacier, aux semelles impatientes) tout empoissé d’aurore plumeuse et hahanne, halète, hulule, vrille fuse et gicle sa plainte, éclaboussant de sang la nuit !

“De toute éternité, comme la laine au tapis noué, le caillou à la mosaïque, aux organes les cellules, et eux au corps, ces hommes à la Ville. Vous l’âme, couleur et forme. Moi maçon, le gros ouvrier, le vice-serf.”

Oh ? Les 7 Noëls premiers[6] !

La grand-nef crépie (comme une coquille d’œuf bondée)

Comme un râtelier d’armes bien tenues, le grand-orgue et le tonnerre venteux de ces poumons d’acier ; L’âme humiliée des foules, au vol les encensoirs : Le choc fumant de leurs élytres d’or !

Où sont ceux qu’inclinait ma crosse et qui bougeait leur volonté au van austère de la discipline.

Où la prière manuelle, les paumes jumelles, les doigts égaux ? A jamais, dans la tombe. Et les orbites vers vous ardants ! Vides. Les bouches qu’usait le sol ? Mangés

Oh. Ces poutres[7] pourries qu’encensèrent des mains mortes !

Du dehors rien de changé dans la demeure du père. Mais vos contreforts comme des béquilles étayeuses d’une vieille sans enfants et dont les petits-fils s’écartent, riant et se bouchent le nez. Qui l’appellent radoteuse, parce qu’elle touche à l’au-delà et qu’elle dit des choses qu’ils ne connaissent point

Maintenant qu’ils sont tous partis est-ce que je ne vais retourner là-haut, avec Vous, dans les jardins paternels.

Est-ce que vous n’érigerez pas de ce toit branlant, hors cette butte infâme ?

Fils, ils m’ont laissé, l’épine aux tempes, le torse embobiné des rubans rouges de la flagellation et des échardes de roseaux en tous mes membres. Pourtant, bon portier, tu précipites.[8] Sur les galeux, les verrous, pour qu’ils n’infectent pas mon aire. Regarde aux murs et dans 3 jours tu rouvriras les portes.

(Les bourgeois causent)

“Oh. Le soleil de juin. L’herbe grasse. Fi de la nuit suburbaine, l’esprit cerné de 4 murs, et l’âtre chauffeur de pantoufles, et cette table de 4 pieds, bourgeoise, où il nous soûlait attabler, et ce Pain !

Dedans tout vers la cathédrale, elle à ce Pain. Nous, nous dépendons de nous-mêmes, car nous ne sommes pas des bourgeois et la Règle est au-dessous de nous ; Nous avons lu Renan, qui est un philosophe, et nous ne croyons plus, parce que nous sommes des esprits originaux. Libérateurs de l’humanité, tressons nos couronnes !

Hors ces murs, encercleurs de générations ; et avec nous la Liberté et des pâtés en croûtes, des sardines baignées d’huile excellente, des vol-au-vent moelleux. . . Oh ! Ces agapes confraternelles ! L’Egalité spectatrice de banquets. Tant qu’à vesprée, nos panses[9] ruminantes[10] oscillent comme des ballons au gonflage. a nos flancs nos belles épouses renâclent débordantes.”[11]

Comme, aux dimanches d’été, l’herbe sylvestre, génitrice de faces mauves aux serviettes blanches, en rupture de boutique, et d’hommes en casquette, qu’échauffe le fumet des filles rieuses, c’est la fête du cul et de la panse ; Ainsi ce talus souillé, de plain-pied sur le monde.

“Oh ! L’aurore fraîche, l’herbe humide. Pourtant jouissons, car dedans l’œil tapé au mur omnipotent, croisé des routes ; tu te retournes, et voici l’autre, borneur du monde––tu fermes les yeux, et le mur tierce de ta parfaite pauvreté. Entre ces 3 planches liées, ton “Moi” cède, comme une jambe éclate ! Et maintenant fouille l’horizon et les choses sont là, dont tu te peux saouler. Car, du moins, tes pieds sont libres et cela tu le possèdes. Collige et goûte toutes choses en toi.

Pourtant nous ne pouvons rester sans cesse dehors,

Car nos provisions sont épuisées et on ne crée pas de pain ici,

Sur nos pointes, à peine la vue de quelques toits.

Si nos aîtres allaient crouler, nous absents !

Et puis de voir toutes choses c’est très gentil, mais avoir ?

car elles se brisent et nous dépossèdent, que nous ne l’aurions pas voulu, et où réside la possession de quoi nous est indépendant ?

Et nous-mêmes ? Un rhume de cerveau, et nous voilà mangés aux vers, que nous ne l’aurions pas voulu. . .

Si nous ne nous possédons, qui le fait ? Cette grippe . . .

Mais qui pense cette possession ?

Malheur à nous ! Miséricorde sur nous qui ne possédons rien et nous-mêmes possédés[12] des choses de Dieu.

Pas plus qu’une pierre nous ne pouvons posséder. et nous avons des paumes désirantes pour rester vides, comme un qui n’aurait pas de doigts pour saisir.

Tel la grande trompe docile que dompte et dirige la piqûre intelligente du cornac, nous, chevauchés des accidents de Dieu.

Et qu’il ne se dérobe point, l’écraseur d’hommes,

Qu’il ne barrisse[13] pas la révolte entêté,

Car au bulbe le dard svelte et savant et croule le volcan de chair fumante, les 4 pieds comme des béliers de guerre, l’agonie de la trompe[14] tour à tour lovée et brandie, casseuse d’arbre !

Le ventre monstrueux s’apaise comme une forge sur midi.

Encore un repli des narines roses soufflantes et plus là qu’une charogne géante, et le kornack qui suppute combien il en vendra l’ivoire.

La pourriture, c’est où il n’y a point de vie, mais la pourriture.

Qui se révolte il se pourrit

Qui goûte la mort de l’enfer il n’y a là vie

Force, bonheur, raison, (où chez le Mort qu’on porte à dos, dans une boîte et que les vers dévorent tout nu.)

Est-ce que tu te révoltes contre le Centre de gravité et les relations mathématiques

Non car tu ne les promulgues pas, tu n’y changerais pas un iota. .

L’ordre de même.

Revenons à l’ordre.

Le chien lèche le poing du chasseur et becquète l’oiseau les doigts partageurs du grain et l’esclave non-affranchi il se met bien avec le Maître.

Revenons au Seigneur, usons de toutes choses en Dieu.”

Et ventres vides aux mains vides, la ruée aux portes, grêle noire en cliquetis d’orage.

Comme l’enfant stupide, le fils de l’homme,

Explose de larmes salées et chaudes qui lui découlent dans la bouche, et le trépignement rageur de ses petits pieds, parce qu’il est 9 heures et il ne veut pas aller au lit, il n’aime plus sa Maman !

Elle souriante attend qu’au bout de sa grande colère la fatigue l’endorme à son cou, pendant qu’elle le déshabille

Et les derniers hoquets de larmes qui lui glissent dans l’épaule . . . . . . . . .

Après[15] la saison chaude et vide, le commerce intérieur reprend.

Le flux affairé des murs aux rues, d’elles au porche, et le reflux de forces du Tabernacle aux murs. C’est la Communion du travail journalier, et non le regret vain d’hier ou le désir aléatoire de demain. Ici point de rêveurs, des maçons. A nouveau la grand nef bondée comme une coquille d’œuf, le tonnerre humilié des foules !

Voici les débris de l’idole d’or qui était bourrée de crottes comme aux Lundis d’été l’herbe du bois, fleurie de papiers graisseux et de boîtes de sardines.

Au lendemain du jour de repos (et non point la paix bénie du Dimanche, au tintement des cloches, mais bien plutôt le Sabbat démoniaque, Satan bariolé comme un chef de loge, et sa garde de tous les Morts, aux maxillaires cliquantes de litanies maléfiques, avec la libation à Bacchus et le baiser au cul du bouc)

Le travail des sept jours, dominical, reprend.

Septembre–Octobre 1916.

Du péché, de la sanction
Retour de l’âme à Dieu
Ses conditions

Mon âme comme des femmes.

Elles rient et supputent l’appât de leur chair jeune pour cloîtrer le Maître et ses richesses aux murs de leurs membres tièdes . . .

Le fils du Maître passe pour le choix d’une favorite.

Voici le rythme de ses sandales de byssus. Il parle, l’homme riche qui possède :

“Ignorez-vous qu’aux Cités de mon Père il en est d’autres plus jeunes, dont la chair ne pourrit, dont les seins ne rident.

D’elles, ni de vous, je n’ai désir, car je suis plein de moi, j’ai suffisance en moi.”

Elles s’échauffent, la pourpre aux visages :

“Tu nous fais honte, Eh bien nous ne te servirons plus. Nos pas désapprendront la danse, nos bouches le baiser. . .”

“Folles ! qui n’êtes que des corps, ma glorification égale, vos lèvres dociles à mes talons, où, sous le fouet, votre peau fendue comme le fruit sauvage dégoutte de sève noire.[16]


Hors des murs : Sur elles La ruée bestiale,[17] Des orbites rouges et L’agonie atroce aux poings fendus. Les bêtes mordent et piétinent et souillent de vomissures cette chair qu’un geste du Maître eut élu comaîtresse de l’univers.

Déjà elles ne peuvent ni voir, ni saisir. Sous leurs dents fiévreuses le baiser rigide d’un tuf envahisseur.

Dans le froid stellaire, en spasmes mous, l’une s’agenouille, la faim lovée à ses viscères vides :

“O ! Jour de notre indépendance, long-désiré. Déjà la main lève le voile virginal, et voici : Je démasque le rictus grotesque de la Mort !

Cabrée[18] au joug du maître, ma chair s’offre, docile[19] aux vers . . . Fruit dérisoire aux lèvres lasses des lutteurs affrontés. Ô ! Retourne, Sers en échange du pain ! Mais sans mains et sans yeux, que suis-je, Daignera-t-il prendre acte de ma charogne vive.”

Voici le chasseur royal, Son bras tend la corde tri-nouée, et sonne son dard aux feuilles profondes.

“Il se penche, il lie aux membres l’esclave dégouttante de sang et de boue, et tel un faon, l’emporte vers la Cité close . . . .

Des poings, des pieds et du ventre scellée au mur stable.

“Il a pansé mes plaies mais voici le tierce jour de jeûne

Parce que j’ai voulu tirer bénéfice de l’esclavage, Sa colère, comme l’aigle, sur moi.

Maintenant je sais :

Aucune transaction possible. Contre quoi m’échangerais-je qui ne suis rien. J’ai en lui grande nécessité. En moi, Il n’en a nulle : Il faut me rendre à merci.”

Voici le geôlier royal (En main la clef ouvreuse, la triple couronne au chef.) Il la saisit il l’apporte dans la couche royale.

. . . . . . . .

Alléluia !

J’ai conçu ma grandeur dans la servitude, la liberté dans mon esclavage.

Dans ses bras il a pétri ma chair pourrissante.

Il m’a haussé jusqu’à lui, l’Eternel.

Mes yeux de chair dissous,

Mes mains charnelles, les corbeaux y ont trouvé pâture,

Mais il a conjoint sa Main à mon bras

Dans mes orbites il a greffé ses yeux.

Voici que je frappe avec le bras du Tout-Puissant

Ma route s’éclaire des lueurs d’en haut. Alléluia

Mon esclavage est tel :

Il a lié mes pieds de patience,

Mes pieds Saignent sur l’Arbre.

Il a tendu mes bras comme des câbles

Mes bras prennent longueur des traverses :

Parce qu’il a voulu que je me donne sans pudeur, ni retrait d’aucune sorte,

Dans le geste d’amour parfait.

Ma bouche il l’a remplie de fiel.

Son amour jaloux n’agrée pas le murmure,

mais d’être comme la poupée aux doigts de l’enfant qui l’égratigne.

Mon cœur il l’a percé.

Comme d’une urne ma volonté glisse dans la sienne. Alléluia

Je m’écoule en lui, goutte dans l’Océan.

Il me pose ici, j’y reste.

Il me met là, j’y suis.

Et voilà ma grandeur :

Je partage la couche du Seigneur

Et les possessions du Maître

Il ne m’a point cédé le monde

comme au petiot, un hochet pour ses gencives

mais tel le père confie à l’aîné l’héritage.

Les Trônes, les Puissances, les Dominations sous ma main.

Les archanges comme des colombes dans mes paumes

Le soleil, la lune, les étoiles ne m’illuminent point.

Je leur donne la clarté en Dieu.

Toute chose m’aboutit.

J’en forme un faisceau.

Dieu reçoit de moi clarté[20] de l’Univers, Alléluia

Parce qu’il lui a plu de me poser au moyeu de la Roue

Tous les rayons convergent vers moi.

Voici ma Liberté :

Je me suis donné dans la Liberté

Parce que de moi-même je retombe au néant, il me faut un Maître, et mieux vaut dépendre du Fils de l‘Homme que des fils de la pourriture.

Je suis libéré de moi-même et de toute chose.

Ma liberté n’a d’autre règle que sa conservation.

Il s’est offert à moi tel un tremplin solide.

D’un bond je plonge aux hauts cieux.

Je domine tout.

Comme le drapier son tissu,

je déplie le Monde et le superpose à Dieu.

Mieux qu’avec l’once, l’aune, le litre

je soupèse, je mesure, je jauge toute chose

Voici que je les range dans l’ordre vrai.

J’en use selon leur utilité !

Alléluia

Voici mon esclavage : Je l’aime.

Il a ravi violemment mon cœur––

De l’olive pressée sort l’huile onctueuse :

Il m’a torturée et fait jaillir l’amour

Ce n’est point sa sandale de byssus, sa toge pourpre, que j’aime,

Ni son baiser moelleux, le velours de sa paupière ronde

Ni la force de l’injonction, la bonté[21] des caresses,

Ni de m’avoir élue au festin,

Ni d’avoir fermenté ma chair dans sa couche, mais lui-même.

Je l’aime pour lui, et non moi, ni ces choses qui sont autour.

Il est mon unique nécessité.

Je le lui disais, hier, il parle, il dévoile l’ineffable Mystère :

“Mon cœur est épuisé d’amour pour toi !

Je n’ai repoussé le prêt de ta servitude que pour ce don d’esclave, toute,

J’aime ta chair mutilée, ô folie, et l’horreur de tes orbites, creuse.

Creuse mon âme, ô mon amante !

Te voici dans le Jardin fermé, l’Eden clos[22] à jamais entre mes infinis

Pour toi, la nuit de sapience s’achève.

Revêt la bure, ceint le cilice, coiffe le bonnet conique qui stigmatise

Et de mes doigts, l’ultime don, à ton col, le custode d’obéissance, qui renferme ma Réalité.

Et Voilà : Pars dans les ténèbres extérieures.

Comme le pécheur ses mailles gonflées d’argent, le braconnier son plein panier de plumes, ramène-moi d’autres amantes, bien-aimée !”

Il dit et moi-même en grand tremblement :

Sa dextre flatte ma chair qu’elle électrise,

Mais la sénestre tient le glaive

Et mes compagnes pourrissent au charnier

Fini Janvier 1917

Le Cantique des fiançailles[23]

“Tels qu’il nous a créés aimons nous tels[24]

Parce que notre idéal n’est point au bleu des fins d’automne, désincarné

Mais vivide, où craque la sève bourgeonneuse en la promesse des fleurs futures

Ne nous effrayons point de nos viscères et de nos sueurs

Il nous a donné des pieds[25] stables sur la route

des mains prenantes au travail, nos sexes pour l’enfantement.

Et nous voici tous deux comme des gosses, le front aux vitres

S’ils savent que les gâteaux sont de carton, d’un coup de dent ils s’en assureraient bien mieux”

“Mais à quoi bon ce goût de cendre, et les taloches du père.

Vois-tu il y a trop longtemps que nous avons fait choix . . .

Tes bras pâmés ils configurent ses bras cloués,

Ta lèvre de miel, sa lèvre lourde de fiel

Et ton sein, ton sein de peau,[26] son cœur, son Cœur de sang.

Comment souillerions-nous une chair semblable et parallèle à Celle qui souffrit sa Passion

Et puisqu’il lui a plu de descendre en nous comment ririons-nous avec Ses stigmates aux pieds et aux mains.

Vois-tu il y a trop longtemps que nous fîmes choix.

Pour nous, à jamais, le cadavre sent sa pourriture”

“Ô mon amie, me voici tel, avec ces membres grêles, et ce ventre. . .

ces pieds de marche, non de danse, ces mains de travail, inaptes au rythme du geste.”

“Ô mon amant ! le voici tel ce corps dont l’unique beauté réside au mensonge du voile

au hasard du geste et de l’heure en l’illusion des yeux,

Mais au réel cette construction d’os et de chair,

Concrète, pesante, bornée,

Et ces 2 outres de peau pour l’allaitement futur.

Oh ! Je le sais ces quatre membres et ce torse, ils ne borneront point ton horizon

Ce cadavre ne comblera ta fosse

Mais je ne demande pas cela, seulement ce don de mon âme vierge et voulante,

et veule.”

Amie, contre ce don, voici ce prêt de mon âme pécheresse et pérenne.

Et certes tu n’as point qualité de but, ni moi.

Et comment nous suffirions-nous l’un l’autre, qui ne nous suffisons nous-mêmes !

Mais avec nous l’Esprit de Dieu en qui est toute suffisance

Pour nos deux corps le corps vivant du Christ

avec correspondance en Lui.

Comme la vigne au lierre, feuilles et baies mêlées,

ascendons le jet de sève

et droit au faîte.

Ou, sans ce coriace support, dans le tuf, la pourriture.

Nouons nos bras l’un l’autre, modelant ce vase clos que l’Éternel remplira.

Scellons-y sa Matière, afin que, l’œuvre en poudre, son contenu réside.

Il serait cocasse de prétendre nous soutenir l’un l’autre

Ayant désir d’étai, nous-mêmes.

Ne t’appuie pas ainsi, je tombe.

Je te touche, tu chancelles

Mais serrons la Corde qui monte.

Agrippons-nous aux branches de l’Arbre.

Que nos bras nus figurent[27] l’anneau des secondes fiançailles

l’Alliance à trois.

Ainsi, la Colombe posée sur nos lèvres pourrissables.

Et l’entrelacs d’âmes pérennes.

Et maintenant ne crains plus. 

Nous voici seuls avec Dieu.

Tes poignets prisonniers à mes poings

Tes dents goulées.

Oïs ce frolis plumeux d’Ailes !

Joachim a fui au désert.[28]

Anne guette, sous l’arche, pantelante.

Voici la poussière de ses troupeaux, son vieil homme, le chien qui guette.

Joachim va vers elle.

Ils se sont embrassés d’Amour, emmi les brebis, sous la Porte d’Or

Au centre d’une exultation d’Anges !


[ 1 ] Alternatif de l’original : (car nous ne le voyons pas).

[ 2 ] Remplace : saillent.

[ 3 ] Alternatif de l’original : mobile.

[ 4 ] Remplace : rit des.

[ 5 ] Remplace : figures.

[ 6 ] Omis : des anniversaires.

[ 7 ] Remplace : planches.

[ 8 ] Remplace : Tu es un bon portier, mais tu précipites.

[ 9 ] Remplace : sphères au gonflage.

[10] Remplace : débordantes.

[11] Remplace : des rêves ruminants.

[12] Alternatif de l’original: obstrués.

[13] Remplace : dresse.

[14] Remplace : monstrueuse et la trompe.

[15] Remplace : Le commerce.

[16] Alternatif de l’original : dense.

[17] Barrés : souliers, jarrets liés.

[18] Remplace : Ma chair.

[19] Alternatif de l’original : servile.

[20] Remplace : lumière.

[21] Remplace : douceu.

[22] Manuscrit : close. Remplace : bornée.

[23] Le manuscrit de ce poème est actuellement séparé du carnet La Grâce, mais le titre a été inclus dans une ancienne table des matières. Ainsi le poème peut être daté des débuts de 1917. Dans la liste, Charlot a ajouté “sur moi”.

[24] Manuscrit deux fois : tel.

[25] Remplace : main.

[26] Remplace : lait.

[27] Manuscrit : figulent.

[28] Remplace : Une Vierge enfantera.