Processional, the sunny side, part 3

De 14 ans à 16 ans

Jean Charlot

ma douce âme d’enfant s’échappe à tire-d’aile

me laissant à la nuit

et je comprends combien mon enfance était belle

alors qu’elle s’enfuit.

Je voudrais près de moi la retenir encore

encore un seul instant

tout au fond de moi-même à voix basse j’implore

j’implore doucement.

Je l’ai compris trop tard que l’enfance était belle

quant on disait cela

je pensais que c’était de vieilles ritournelles

et j’aurais voulu, moi

devenir un grand homme à la noire moustache,

au regard assuré,

ou bien un bel houzard portant la sabretache

et l’habit azuré.

tandis que maintenant, maintenant, je souhaite

d’être un petit enfant

aux cheveux blonds bouclés, l’âme toujours en fête

et tout le jour content..

Or le destin me pousse en avant et je marche,

obligé d’obéir,

et je vois devant moi s’agrandir la lourde arche

où l’homme passe pour mourir..

14 ans    avril 1912

Autour la sente forestière

battent les ailes des fougères


un ange pleure longuement, car les étoiles

gouttent en larmes d’or au ciel clair d’améthyste.

Je t’ai vue, je t’ai pu contempler ardemment

sous les brocards soyeux tordant ton corps agile

ondulant tes longs bras chargés de diamants

en la danse mystique, aux poses difficiles,

le col ployé sous la tiare orientale,

Houri de la cité d’opale.

Ses pieds lourds de joyaux écrasaient ma poitrine

Je me tordais comme un serpent. Ses bras nerveux

me prirent. Je baisais sa lèvre purpurine

ardemment. et je fus dévoré par le Feu.

Alors elle me dit, de sa voix idéale :

“Je t’ai choisi comme holocauste, ô, mon enfant,

afin que ton sang pourpre ensanglante les dalles

sous moi. Veux-tu mourir en de hideux tourments

Si tu le veux, dis-le,” et son timbre était doux

elle me regardait agonisant sous elle

je criais “Je le veux. Déesse qu’êtes-vous”

“Je suis celle qui mit à Pégase des ailes !”

novembre 1912.
fragments

du bandeau délicat d’un doigté féminin


voir la mer grise geindre triste,

enveloppante de douceur.


fouillis de glaïeuls hauts et de pois de senteur

multicolore et chatoyant dans la lumière

le coin rustique et clair où la vie exubère

ondule sous ses pas en frissons de couleur.

Vive et gentille sous l’éclat des cheveux d’or


Boxer

C’est par toi que je peux parmi les rocs des cimes

ciseler ma pensée en palpables joyaux.


Je rêve de mots forts pour dire la beauté

luxuriante d’un impossible tropique

où le sous-bois géant de troncs tors est porté

Strophes

Le soleil frissonne.

La chaleur endort.

L’atmosphère d’or

sonne.

dans la roseraie

que le ciel trop bleu

d’un crayon de feu

raie.

Aucun pas ne glisse.

les pétales blancs

sont éperdument

lisses.

Seules, (nobles poses

d’orange et de feu)

s’érigent haut deux

roses.

or l’orgueil les sèvre

et roidi leurs cœurs

du dédain des fleurs

mièvres.

en parfums de flamme

tombant à flots lourds

leur chair de velours

pâme,

cierges que consume

un désir trop haut

dont leur sang à flot

fume,

et qui les fait tendre,

holocauste d’or,

en un bel effort

tendre

vers les impossibles

chimères d’amour,

prenant le ciel pour

cible :

jusqu’à ce qu’en trombe,

au vent tôt venu,

leurs pétales nus

tombent.

5–13.

Léda.

Il nageait, le poitrail luisant. Son col d’ébène

caressait la splendeur sombre de sa toison,

et ses yeux cerclés d’or brûlaient, fauves tisons,

en inspectant les bords de l’onduleuse arène.

Il dévia vers un coin doux, bleui d’un frêne.

Lascif à son dos lourd mourut un grand frisson

ivre son bec de sang claqua de pâmoison.

Elle le regardait venir, blanche et sereine.

Le soleil, tamisé de feuillage, jetait

à son corps des blancheurs molles qui frissonnaient

et plaquait ses cheveux de taches d’or fluide.

Elle riait de voir l’oiseau majestueux

s’avancer. Les yeux d’or se fixèrent avides,

et Léda fut saisie et nouée au col nerveux.

5–13.

madrigal.

blancheur d’aile

le baiser

a rosé

ton cou frêle.

Laisse, belle,

mes pensers,

blancheur d’aile

le baiser.

Yeux fidèles

ne pleurez.

Vous n’aurez,

tourterelles,

blancheur d’elle.

5–13

Le chœur

de joie

s’éploie

sans peur.

Douceur

me noie

le cœur

de joie.

Ma sœur

se ploie,

dont j’oïe,

trembleur,

le cœur

5–13

rimes fraternisées et serpentines

Lumière et or, joyaux des champs,

chant du soleil dans les blés roux,

au roulis lent berceur et doux

d’où vient le calme aux cœurs saignants.

colliers clinquants, perles et pierres,

errant éclat que le gaz brasse,

bracelets, feux durs, perle ou strass,

chant des joyaux, or et lumière.

fragments :

un grand feu m’a brûlé qui m’a fait bien souffrir,

feu mauvais où le bel et le bon se calcinent,

haleine des charniers où l’âme vient pourrir.


mon âme ardente veut la fraîcheur des racines

et vivre de la Vi(e) des glèbes et des monts.


défroqué de l’ennui poudreux des villes grises.


Je rêve d’un soir rose avec des arbres mauves

encerclant un grand lac, fermé comme une alcôve

où la tristesse grise en clarté d’or se fonde.

mon cœur est un lac clair qui reflète le monde.

vers 7–13

Je suis au moment, le meilleur,

où tout est soleil sur la plaine,

où,[1]rieur,

cueillant les gerbes à mains pleines

je m’essore vers l’avenir

d’une haleine.

L’expérience : pour ternir

l’or assoupli de ma tunique

peut vomir.

La science glace et l’argent pique.

des plis chauds du rêve, je leur

fais la nique.

Drapée d’espoir, sur la hauteur

d’où rubannent les sentes blanches

du bonheur,

ma jeunesse rit et s’épanche

sans prendre garde au doute lourd

qui se penche...

La folle, elle ne sait qu’Amour,

Bonté, vigueur, beauté, jeunesse,

sont d’un jour.

Elle dénigre la tristesse

des vieux et des femmes en noir.

“Les déesses

douces aux fous, me vont asseoir

aux bords frais des sentes unies

jour et soir”

dit-elle. “ma lyre assouplie

muera en chant le bruit banal

de la vie.”

et dans son orgueil triomphal

elle choisit la Lyre-Flamme

pour fanal !

La muse râle aux mains des femmes

mièvres, des vieux crachant leur toux,

des forts.. Je lutterai, ma Dame

contre tout.

9–13

L’ombre bleue

tremble en ronds

sur la queue

des paons.

L’air en joie

dore et lustre

le balustre

qui s’éploie.

La fleur ivre

fait revivre

le classique

vase antique

Diane en cage

sous l’ombrelle

des bocages,

leste et belle

voudrait courre

cerfs et biches,

son sang riche

s’énamoure :

biches feues,

cerfs et faons

raient de bonds

l’ombre bleue

10–13.

fragments

or c’était dans le parc classique

le soir tranquille et fantastique

bleuissait les marbres antiques.

Diane la sage demoiselle

l’arc en main, courait, blanche et frêle,

un faune riait sur sa stèle.

“La nuit s’annonce au ciel vieux rose.

Quittons nos poses

académiques.”

dit Diane s’asseyant au bord du socle antique.

Le Faune desserrant son sourire de marbre

aspira la fraîcheur éparse des grands arbres

et ne répondit mot.

Diane aux frondaisons, triste, prit un rameau.

“L’homme est vieux. La terre lasse

agonise. Le temps passe

sur l’âme sans l’achever ;

elle râle ce soir rose

car les effets et les causes

la gonflent sans l’abreuver,…

l’homme agonise, mais qu’est

l’homme devant la nature...

dort en paix. La cité rouge

hurle et râle, âcre de sang.

des étoiles plein l’étang.

cime ou feuille, nul ne bouge...

à d’autres, lâches et sots

d’oser fuir sous les assauts

du monde qui hurle et grouille.

Sachant que notre acte est bon

la gloire au cœur, nous tombons,

puis la foule à nos chairs fouille.”

Le faune murmura “Ma chère, je vous aime,

mais l’hiver va venir, qui défeuille les arbres.”

13

Un long et lourd regret a fait de moi sa chose

depuis que le travail journalier m’a pris,

mais la plaie, aux longueurs des jours s’est si bien close

que du regret mélancolique je m’épris.

Le rêve d’or, de sa corolle éclose

ne perce plus le tain du fleuve gris.

Je ne m’attarde plus à l’extase des roses,

vaque et coudoie, au long des trottoirs gris.

J’écris sur de l’algèbre et de la prose,

et je le livrerai ce Fantôme, au mépris

de mon cœur, de mon cœur qui s’obstine et s’oppose

et je l’égorgerai, Celui dont je m’épris !

11–13

J’attends. L’émoi divin

félin souple, se glisse

vers mon âme encor lisse.

Le lys blanc, svelte et fin

se pâme, fibre à fibre,

au vent d’Amour qui vibre !

Sa chair cabrée, en vain

roidit, lutte, s’énerve,

en fin la reine est serve ;

et toute, or et parfum,

cœur pur, toute, elle roule

au vent qui hurle et houle...

Je vois sans voir. J’entends

sans comprendre. La foule

pleure ou rit. Seul, j’attends.

1–14

La fraîcheur paisible des cieux

met un calme à nos fronts soucieux.

savourer l’heure est impossible.

Le Travail attend, impassible.

il nous faut porter le tribut

d’anciens rêves mis au rebut.

dans l’âme neuve et le corps jeune

l’assoiffant désir du beau jeûne

on voudrait s’arrêter aux bords

frais et cueillir des boutons d’or.

on voudrait s’emplir les narines

d’effluves longs d’algues marines,

on voudrait reposer ses mains

sous l’herbe lisse des chemins.

on voudrait rafraîchir ses pieds

désencombrés des lourds sentiers

et l’on voudrait calmer sa tête

en blancs pensers[2] d’enfant qui tète

mais le travail infatigable

nous amène à la même table

7–14

Le fleuve d’or rutile sur la berge.

En ce soir calme et reposant, j’héberge

le rêve frais et la rime sonnante.

Ce soir, j’héberge et l’amant, et l’amante.

Je les ferai asseoir auprès de moi

et laisserai glisser leurs mots tous frais d’émoi

au long des bouquins gris dont la tranche a jauni.

J’aurai plaisir à voir et l’ami et l’amie

enlacer leurs deux voix en rythmes d’allégresse ;

comme le chanvre aux mains des femmes de la Grèce

leur chant dévidera, du soir gris au matin

rose, la paix de l’âme et le travail des mains ;

et moi-même, accoudé au rêve, coussin mol,

je verrai s’enlacer leurs bras, ployer leur col

et leurs lèvres unies, la tâche faite, au jour,

goûter le fruit tranquille et chaste de l’amour…

La berge est bleue, le soir rose tremble aux cimes,

et je me suis laissé glisser au fil des rimes.

7–14

fragments

Ah !  Tu peux redresser ta taille et te gonfler

du vain et jeune orgueil de savoir t’essouffler

et rire et boire aux ruisseaux frais lamés d’argent

et de t’extasier au frisson décevant

d’ombres que fait l’envol prompt des papillons blancs,

et d’aimer la lumière avec des yeux d’enfant.


Le rythme : un argile

mol où la pensée

agile

s’est posée.

Jeu.

La rime riche est implacable et mensongère,

marque d’esprit subtil qui fait pâlir l’artisan d’art

mais jeu de mot pour le fou qui même en songe erre,

le rêveur qui du Feu sentit l’attisant dard.

Le rêve gardera ce boulet qui l’attache

au pied des sentiers clairs que son fol âge aimait

et sur la lyre d’or où s’élargit la tache

d’ombre, les cordes-sœurs sont froides à jamais.

La trompette barrit monotone où[3] mieux perce

la symphonie ardente et lourde des mots sourds.

sur le tissu d’anémone atone ou vieux perse 

le rouge bœuf ou le vert vert (tons d’émaux) sourd.

Car chaque fin de phrase implacable ramène

le mot, le mot qui fait songer à son pendant.

Le rêve sous le fouet qui l’accablera, mène

la Rime, avec l’Essort à son arçon pendant.

La dépouille héroïque et saignante frissonne

sous la commère qui raillant ces yeux vidés

rit. “ce fou la folie enseignante est frit ! Sonne,

carillon du Bon Sens, par les cieux dévidé !”

7–14.

Jeu (fragments)

J’écrirai d’une plume

houleuse comme au Raz

la mer, jusqu’à l’allum-

age des becs de gaz.

mots sveltes d’hirondelles

sombres au sentier clair

et qui partiront d’ailes

plus aigu(e)s que l’éclair.

La critique est facile

mon cher Monsieur mais l’Art

est difficile. mille

pères mordent au lard

amère du malheur.

trop heureux s’il en reste

un pour savourer l’heur

du laurier qui s’appreste.

ô la boue de Paris.

Je voudrais du tuf meuble

bien loin des remparts, y

déménager mes meubles

ma chronique rimée

ma personne élimée

ma lyre et mon stylo,

et sur la glèbe aimée

laisser glisser l’année

au fil de l’eau.

tout m’énerve, ce soir, le bruit et le silence,

la lampe claire et le soir bleu.

mon âme fatiguée et lasse ne s’élance

plus là-haut et les spleens passent, à queue-leu-leu

au long des recoins bruns où du jour agonise.

que ne suis-je tranquille et simple. les pensers

subtils m’ont corrosé l’esprit. pour effacer

la marque (dure et crue au front) qui s’éternise

et qu’a scellé la Ville avec sa lourde suie

en un triple cachet de feu, de sang, de flamme,

il faudrait je ne sais quelle pureté d’âme,

quelle candeur de vivre une sereine vie,

et quelle lèvre au front qui console et soutient,

telle qu’il n’en est pas dans ce monde, le mien,

car peut-être, là-bas, sont des cités de rêve

où l’homme, en achevant sa tâche, rit et lève

un regard frémissant d’Amour, là-haut, vers Dieu

et redressant sa taille à la splendeur des Cieux,

franc, secouant la sueur dont sa chair s’est polie,

plonge un regard profond et simple sur la vie.

Pour nous, la tâche faite et le devoir bâclé,

l’ennui terne agitant ironique ses clefs

de fer qui défendent l’approche des joies fraîches,

nous enfiévrons nos fronts au jeu de nos doigts rêches,

et notre âme alourdie et lasse se tapit

dans le rêve mauvais des romans impossibles,

chien crevé, dont le sang caille au bleu du tapis.

7–14

Je saurai l’inanité des rêves

et que tout espoir est déficit.

Sachant que nos cœurs peuvent seuls leindre

le tissu moiré de nos futurs,

que nous forgeons de nos sangs l’Azur.

là-bas peut-être est-ce ici

même fard au coin des bouches

même ciel transi

même foule qui débouche

admire ou critique, et part,

même candeur louche.

même ennui de vivre, épars

au flot des pensers morbides

dont chaque à sa part.

même éclat de rire acide,

qui mord à mon front craintif,

même âme cupide.

ville où tout art est lascif,

toute blancheur violée,

tout amour fautif,

où la pudeur immolée

à leurs vieux désirs humains

s’en est allée

par les chemins.

fragment
7–14
avant le départ pour Fribourg.

fragments :

l’Immortalité

trompette, hors d’haleine

“J’ai ressuscité

l’Idéal hellène.”

Crève

Rêve

blanc.

Sombre

dans

l’ombre.

Philosophie

le sot travaille et le fou pense

le corps halète et se dépense

la “raison” butte au gouffre noir

et tout l’azur splendide étreint nos désespoirs

7–14



Fuis, belle...

le vin

l’art vain

m’appellent.

modèle

l’airain

burin

fidèle.

ô sculpte,

occulte,

l’amant

qui prie ;

l’amie

qui ment

7–14


[ 1 ] Manuscrit : ou.

[ 2 ] Variante dans le manuscrit : instincts.

[ 3 ] Manuscrit : ou.