Processional, the sunny side, part 2

Poèmes Choisis par Jean Charlot

La Grâce[1]

Comme une mamelle gonflée, comme un ventre lourd d'espoir (etClaire d'écume trifourchue, l'étrave hors la matière dense, torve, fuyante,toujours semblable), l'étoffe plastique court, coudée aux ruées arc-boutantesd'orage.

Debout je barre, dos au sillage—A droite glisse la coquehors, à gauche lèche la mer. Ainsi Droit vers les îles non-sonnantes,qu'emmitoufle d'or le sillage embué du char céleste.

Qu'ai-je besoin de rames. Bon pour les ouvriers suants,courbés, les pauvres attelés à ce morceau de bois. Debout, je barre je hume levent qui grince et hulle et lèche rauque ma face de Maître

Oh l'enivrement, le soûlement de ma superbe repue !

Qu'est-ce. ! … Les cordes alternativement roides et floches—A gauche ne lèche plus lamer

La coque bourgeoise mouille à droite sa ligne.

Qu'est-ce ? L'étoffe aplatie se ride et tombent, lamentables ses bajoues

Ah Dieu ! Cen'était pas moi, le barreur qui faisait bondir la barque sur l'immense

ni ce vil cordeau, le mien ni l'étoffe pendante, le mouchoirsale, le haillon morne, le mien

Ce n’était pas moi, le barreur, mais

l'air, l'air venteux, libre, que nul n'a jamais saisi, niemprisonné, ni asservi et que je croyais moi, naïf, chétif, esclavager souscette loque comme d'un filet le papillon !

La Grâce[2]

Comme une mamelle gonflée, un ventre lourd d'espoir,

(et claire d'écume trifourchue,

l'étrave hors la matière dense, torve,

fuyante, toujours semblable)

L'étoffe plastique court, coudée aux

Ruées arc-boutantes d'orage.

Debout je barre, dos au sillage.

A droite glisse la coque hors

A gauche lèche la mer.

Ainsi droit vers les Iles non-sonnantes

qu'emmitoufle d'or

le sillage embué du char céleste.

Qu'ai-je besoin de rames ! Bon

pour les ouvriers suants, courbés, les

pauvres attelés à ce morceau de bois.

Debout, je barre,

je hume le vent qui grince, et hulle, et lèche rauque ma facede Maître.

Oh ! L'enivrement,le soûlement de ma superbe repue.

Qu'est-ce ? .. Les cordes alternativement roides et floches

A gauche ne lèche plus la mer. La coque

bourgeoise mouille à droite sa ligne.

Qu'est-ce ? L'étoffe aplatie se ride

et tombent, lamentables, ses bajoues.

Ah ! Dieu, cen'était pas moi, le barreur,

qui faisait bondir la barque sur l'immense, ni ce vil cordeau,le mien,

ni l'étoffe pendante, le haillon morne, le mien

Ce n'était pas moi, le barreur, mais l'air

l'air venteux, libre, que nul n'a jamais

saisi, ni emprisonné, ni asservi et que je croyais, moi, naïf,

chétif, esclavager sous cette loque,

comme d'un filet

le papillon !

L'ouvrier[3]

Et je suis aussi attelé au joug, avec les autres, dans lamasse—Et nous tournons lentement sur place comme les esclaves des meules

Et gicle la sueur qui dans l'ahan du travail poisse.

Le grain se moud. Le grain se moud.

Et quand nos nerfs sont par trop tirés, le repos, et, chaquejour, tous ensemble, irrévocablement, le pain de force qui, entré, ne sort pas: La Nourriture qui nous assimile et sépare de nous l'excrément

Et les riches et les libres et les sages[4]du dehors regardent. Par la porteils rient dans leur soleil :

“La glaise[5]remue sous vos pieds pesants comme une mer solide. Vous faites des kilomètres .. . sur place, tout tendus vers un but qui n'est point—(qui de nous levoit?)[6] Les cordes de votre cou tirés[7]comme des câbles. Vos nerfsgonflent. Vos yeux saillent, fixéssur rien. Mais vous allez mourird'apoplexie.

Le grain se moud. Le grain se moud.

Tandis que nous en cent mètres nous prenons ceci. Encore cent mètres cela et toujoursainsi. Vous des kilomètres et lesmains vides.

Selon le désir du jour et de l'heure nous prenons ceci, et lereniflons, et des yeux, et tous disent 'Il possède’. Alors nous sommes heureux.

Et vous dans les oreilles la cire. Des orbites vides, lespoings liés à l'arbre grinçant.[8] Vous n'avez donc nul désir !”

Le grain se moud, il tombe.

Et dans leur soleil, le rictus de leurs bajoues rouges commedes outres luisantes et saute et glougloute leur menton triple dont les fanonspendent comme des goitres

Et leur ventre pète, tendu comme un tambour.

Il tombe toujours le grain.

Et pourquoi répondre. Pourquoi vider du bruit dans leur vide. Ils pouffent parce qu'ils voient une pierre qui tourne surune autre et ils n'en connaissent pas l'usage, comme l'enfant qui s'amuse aux[9]majuscules grotesques d'une Apocalypse qu'il ne peut lire

Le grain tombe il germe.

Septembre 1916

L'ouvrier[10]

Et je suis aussi attelé au joug, avec

les autres, dans la masse. Et nous

tournons lentement sur place

comme les esclaves des meules.

Et gicle la sueur qui dans l'ahan du

travail poisse.

Le grain se moud.

Et quand nos nerfs sont par trop tirés,

le repos, et, chaque jour, tous ensemble,

irrévocablement, le pain de force qui,

entré, ne sort pas,

La nourriture qui nous assimile et sépare

de nous l'excrément.

Et les riches et les libres et les sages,

du dehors regardent.

Par la porte ils rient dans leur soleil :

“La glaise bouge sous vos pieds pesants

comme une mer solide. Vous faites des

kilomètres sur place, tout tendus vers

un but

qui n'est point (car qui de nous l’a vu)

Les cordes de votre cou tordent comme des

câbles. Vos nerfsgonflent. Vos yeux

saillent, fixés sur rien

mais vous allez mourir d'apoplexie.

Le grain se moud.

Tandis que nous en cent mètres nous

prenons ceci. Encore cent mètres, cela

et toujours ainsi.

Vous de kilomètres et les mains vides.

Selon le désir du jour et de l'heure,

nous prenons ceci, et le reniflons, et

des yeux, et tous disent “Il possède.”

Alors nous sommes heureux.

Et vous, dans les oreilles la cire. Des

orbites vides, les poings liés à l'arbre mobile.

Vous n'avez donc nul désir ?

Le grain tombe.

Et dans leur soleil, le rictus de leurs

bajoues rouges, outres bondées, et

saute et glougloute leur menton triple

dont les fanons pendent comme des goitres

Et leur ventre pète, tendu comme un

tambour.

Le grain tombe.

Et pourquoi répondre.

Pourquoi vider du bruit dans leur vide

Ils pouffent

parce qu'ils voient une pierre qui

tourne sur une autre

et ils n'en connaissent pas l'usage

comme l'enfant qui s'amuse

aux majuscules grotesques d'une

Apocalypse

qu'il ne peut déchiffrer.

De la farine on fait le pain.

La mort acceptée[11]

La mort acceptée

L’agonie solitaire

Prière pour qu'elle soit fructueuse

Consolation

L'enfant va partir.

Il a astiqué ses boutons pour que sa famille le trouve beau.

Eux de rire comme d'une poupée neuve.

L'enfant a le cœur gros qui voudrait pleurer—mais où ?

Voici la maison des sacrifices où il y a quantité de sacrificesaccumulés.

Ô la manche sans galons et le col qui strangule.

Eux qui vivent pour soi est-ce qu'ils croient que c'estagréable de mourir pour d'autres.

Voici entre eux et moi tous liens rompus. Eux bien assis sur lamargelle et je sonde l'horreur du puit.

Eux de vivre et moi je vais rejoindre ces faces sansnez—ces yeux pourris.

Ma vie s'ordonne autour de ma mort.

Voici nos corps encore proches mais nos esprits comme deuxboîtes étanches et closes.

Ô cette envie affreuse de saisir et de manier cette chairfamiliale tant douce

et encore d'observer cette discipline d'amour tant connue.

Voici dix-neuf ans passés que je vivais ainsi et la fin de celaest proche

et avec frénésie je voudrais profiter encore.

Mais pourquoi troubler l'ordre.

Et cette mort qui m'obsède à qui en parlerais-je.

Ils semblent ignorer et me regardent sans hâte.

Voici que je serais solitaire dans mon agonie et le poids de macendre il faut le porter seul.

Et mon cœur est si pauvre et nu.

Il est vide comme une coquille gobée.

Sa paroi fine tinte au choc.

Voyez ma faiblesse seigneur et venez remplir mon néant,

mais il est si plein de boue et je reste seul.

Seigneur donnez-moi la force de mourir seul.

Car il y aura encore des bals et des fêtes et des soupers

(et moi de rire lunairement avec ses 2 trous saigneux !)

Seigneur qui m'avez enseigné la Vérité faites que mon agoniesoit fructueuse

que je collige et baptise en elle tant de morts ignorantes.

Qu'elles s'ordonnent sur moi comme le typo ses lettres surl'axe.

Que ces muets par ma bouche crient.

 . . . .

Ma vie d'un coup sacrifiée en violence.

Mais que c'est long et que c'est lent, à petits pas, à petitfeu, dans la boue où j'ahane

et suivant votre parole qu'en le pauvre vit le Christ, mercid'avoir affaire à des hommes comme moi,

de pauvres hommes portant leur peine sur 2 épaules geignantes.


(1917)

D’un Art pauvre.[12]

Aujourd'hui que me voici pauvre,en contact avec la vraie matière, que je connais le froid, l'éreintementphysique, le corps affaissé dans le chaume, bien des choses qui m’étaientcachées me sont nettes.

Il y a plus clair que l'or, quiest la matité blanche de la paille, la paille de seigle où Il a voulu naître.

II y a plus doux que l'étoffe, quiest la robe vivante du cheval, aux arces.

Meilleur que la parole agile, quiest le silence de celui qui aide et plus d'amour au don d'un verre de vin qu'aucreux des assurances désinvoltes.

Que font aux pauvres ces toileshuilées au cadre lourd.

Le Paros mat, taillé en chair, n'achez eux aucune correspondance. Nous n'œuvrons point pour ceux-ci mais pour dixégoïstes...

Et où trouver le joint ?

Ils se plaisent à l'homme tel quelet ces choses journalières :

L'outil, le vêtement, et le chienqui gambade. Le matériau de luxe les effare.

Mais cette bonne couleur à lacolle, le bois encré, on sait de quoi c'est fait,

Et ce papier bis bien œuvré, c'estcomme du fromage au couteau.

Il engluera la feuille rouge etbleue aux plâtras du mur, la plus petite dans sa veste.

Et le grand Saint Patron béniratoute tâche :

Éloi la forge, Vincent la vigne,Maurice les militaires, Christophe aux bateliers et Tobie aux morts.

Il fleurira grassement ce Paradisen papier, simple comme le bouton d'or simple et la bourrache bleue.

Jean Charlot
Camp de Retortat

d'un art pauvre.[13]

Aujourd'hui que me voici pauvre,en contact avec la vraie matière, que je connais le froid [et] l'éreintementphysique, le corps affaissé sur la paille—[Aux Après un an de travailcorporel, la paume calleuse et des crevasses aux doigts,] bien des choses quim'étaient cachées me sont [devenues claires] nettes.

[Et d'abord qu'il est des hommespauvres, ils dorment où ils sont, mangent ce qu'ils rencontrent, pensent peu.Leur langue est rude mais leur simplicité est proche de Dieu. Ils ont vu biendes choses, mais toutes réelles—et l'objet factice les étonne. tout artfactice.]

Il y a plus clair que l'or, quiest la matité blanche de la paille—la paille de seigle où Il a voulunaître.

Il y a plus doux que l'étoffe, quiest la robe vivante du cheval, aux arces

meilleur que la parole agile, quiest le silence de celui qui aide.

et plus d'amour au don d'un verrede vin qu'au creux des assurances désinvoltes.

[Tel mot grossier tinte plus clairsous l'ongle que le chant menteur des lyres heptacordes.]

Que fait [à ceux] aux pauvres cestoiles vernissées au cadre lourd

Le Paros mat taillé en chair n'achez eux aucune correspondance.

Nous n'œuvrons point pour ceux-cimais pour dix égoïstes

Et où trouver le joint ?

 

Ils se plaisent à l'homme tel quelet ces choses journalières : L'outil—le vêtement et ce chien qui gambade

Le matériau de luxe leseffare—

mais cette bonne couleur à lacolle, la planche encrée, on sait de quoi c'est fait.

Et [sur] ce papier bis, [une bonneimage] bien œuvré, c'est comme du fromage au couteau.

Il engluera la feuille rouge etbleue aux plâtras du mur

et la plus petite dans sa veste

Et [[en] sur l'image] le grandsaint patron bénira toute tâche,

[St] Eloi la forge, [St] Vincentla vigne, [St] Maurice les militaires [et] Christophe aux bateliers et Tobieaux morts

Il fleurira grassement, ce Paradisen papier [simple] comme le bouton d'or simple et la véronique mauve.

Sonnet du 2ème canonnier[14]

Pour tous les bougre’ qui ont clam’cé, pour tous les potes

Qu'avaient tant mar' malgré qui z'ay' l'air d'êt mariolles,

Pour tous ceuss' amochés, sans pus[15]d'naz, ou patt' folles,

Qu'y sont si moch’ qu'y a pus personn' qui les bott'.

Pour tous ceuss' qu'ont bouffé les Gaz (hou[16]qu'ça cocotte)

Pour tous ceuss' qu'ont saigné tout' eun nuit dans leursgrolles,

Pour ceuss' qu'ont frotté leurs bourrins remplis d'vérole,

Quant y pleuv' des zinzins et qu'la trouill' les bagote.

Pour ceuss' qu'ont bricolé aux heur' où qu'c'est qu'on pionce !

Pour ceuss' qu'ont fait barrage, attendant la réponse !

Ceuss' qu'a du cran comm' ceuss' qui chiaient dans leurs frocs!

Lourds de houzeaux, de fouets, de masques et de crasse,

Charétiers,[17]notair', curé, bouzeux, porte-binoq !

Chialeurs, beuveurs, bosseurs qui z'ont tous crevé ! Grâce !

Décembre 18

Voici ma chair jeune qui rit dans la moisson[18]

Voici ma chair jeune qui rit dans la moisson

Et mon corps jeune qui vibre dans les moussons.

Voici mon âme peu éduquée, mais pure—

Mes dents saines, mes doigts habiles à l'épure.

Ce corps que votre Grâce borne et qui dessert

Un esprit peu fertile en gestes peu diserts.

Mon corps est pauvre, mon âme est pauvre, et le havre

S'ouvre loin pour l'esquif sans voile qu'un Vent navre.

C'est vrai que mon Moi est d'un timide appareil

Pourtant je suis content de mon sort et pareil

jour qui rit dans le soleil me donne—

grand-plaisir. Surtout c'est l'Assomption qu'on sonne

Cette blonde, que vêt un habit “délirant”

est gentille. J'ai plaisir à la voir et rend

hommage à Dieu pour son âme saine et discrète

Elle semble souffrir quelque peine secrète

Elle n'est pas mariée et elle a vingt-trois ans—

Son fiancé s'était ce feld-webel, toisant

de haut—Nous l'avons tué devant Verdun, ce crois-je.

Son œil clair s'égaye à ma vue et m'encourage

Quand je lui parle un peu plus longuement. Ce soir

dernier où j'ai laissé mes ongles dans sa paume

En regardant tomber la nuit j'avais l’arôme

de ses cheveux et l'humide de ces cils blonds

sur moi mais je n'ai pas dit de mots. Ce salon

bête avec ces velours cramoisis et ces glaces

Et ce palmier dans son cache-pot bleu, fit place

à la nuit et ses doigts s'énervaient à mes doigts

Elle épiait, semi-troublée, mais je dois

dire qu'elle attendit en vain que je prélude.

Étant d'esprit peu romantique et de chair prude

Alors voyant que rien n'échéait, elle alla

À la fenêtre et je voyais dans ses yeux la

tristesse de l'enfant privé de confitures

Ou du chien quand la main qui flatte devient dure

[19]Et j'auraibien voulu l'étreindre et la baiser

aux joues et sur son cœur pâle, pour l'apaiser,

Coller mon front tranquille et mes mains coutumières

[20]Et c'estpourquoi j'ai dit : Allumons la lumière.

Seigneur voici venu le temps des sécheresses[21]

Seigneur voici venu le temps des sécheresses

Mon âme est agitée, et creuse et je ne presse

en mes bras que le vide et je n'aspire en l'air

que l'odeur âcre des cuirs, du sang et du fet.[22]

Pourtant je voudrais bien me retremper en douces

chairs—jouir d'un regard ami et sous les rousses

frondaisons promener un cœur quiet et pieux

Mais je sens la morsure des dents, et l'épieux

Me pousse aux reins et je traverse sans haleine

et l'œil clos ce désert aride, vaux et plaine.

Je ne vois pas une lumière, pas un toit

qui fume, mais partout l'hostilité, les doigts

crispés les ongles aiguisés et prêts aux rixes

Au lieu d'un regard amical mi-clos, l'œil fixe

suppute le gain que fournira mon travail

Plus loin des femmes coquettes sous l'éventail

Jacassent, oubliant, crânes creux d'hirondelles

Que le Maître des Cieux s'est crucifié pour elles.

Et moi je vais avec ce signe sur mon front

Maître ce que vos doigts feront et déferont

Je l'ignore mais je veux soumis et sans phrase

Obéir à vos mots sans attendre l'extase.

Quand vous avez parlé, quelle annotation

dirait plus et pourquoi regimber sous l'action

du mors puisque le genou dur et le poing ferme

le cavalier saura mener sa bête à terme—

Sachons donc nous plier et vivre sous le bât

Il est plus glorieux de vivre haut que bas,

Mais pour l'homme et pour la terre, l'eau des citernes

vaut le nuage. Il vaut mieux être utile et terne

Que splendide et traînant du vide sous des plis

Malgré l'or le cadavre du Roi se remplit

de vers, mais Dieu bénit ses serviteurs intègres

Je pense à ces chevaux et à ces mulets, maigres

et le sang aux genoux, qu'exaspéraient les taons

Et je superposais leur image à ses paons

Magnifiques drapant leur bleu sur des balustres.

Pour l'homme aussi, j'ai su des robes et des lustres

Au temps où je priais sous le masque et le feu.

Ce que nous défendions, calleux, crasseux, morveux

C'était ceux-ci riant de nous entre deux glaces.

Mais attention, Messieurs, la Bête lasse

Va s'éveiller et gare au coup de pied final

Mais à quoi bon cette révolte—le fanal

unique, c'est Jésus qu'écartèle la Rome

splendide[23]––Laissons-nouspénétrer par l'arome

du martyr et rions des pinces à nos chairs.

Qui vaincre. Sinon nous. Le conquérant vrai sert

Dieu. Celui que vêt la pourpre, qu'enguirlande

un peuple est-il pour lui plus qu'un pasteur des landes

Restons donc où Dieu nous a mis, sans plus chercher

À dérober au joug notre front, à mâcher

un mors que tient la paume invincible du juge.

[24]l'arc-en-cielbrille hors les trombes du déluge.

Au fil des rimes
9—19

traduit du Gongora[25]

Huy, plus d'Héliades, mais

de Muses le pré se ceint;

La plus docte y voue, or saint,

jailli, pleureur d'ambre, un mai.

Touche, Astre plumeux d'armet

l'eau sans neigeux vol. du sein

foudroyé fils d'hauts desseins

ton chant, nouveau phénix, naît.

blanc d'empennes, vert d'habit

tel, Phaëton fier tu crées.

Ceux qu'ard Apollon; blandits

d'écume ceux lointains; cure

leurs maux d'un mètre sucré,

du Zeus d'Espagne, ô Mercure !

A la fable de Phaëton, quecomposa le comte de Villamediana.

A la fábula de Faetón, quecompuso el conde de Villamediana.

En vez de las Helíadas, agora

Coronan las Piérides elprado,

Y tronco la más cultalevantado,

Suda electro en los númerosque llora.

Plumas vestido, ya las aguasmora

Apolo, en vez del pájaronevado,

Que a la fatal del jovenfulminado

Alta ruina, voz debe canora.

¿Quién,pues, verdes cortezas, blanca pluma

Les dió, quién de Faetón elardimiento?

A cuantos dora el sol, acuantos baña

Términosdel Océano la espuma,

Dulce fías tu métricoinstrumento,

Oh Mercurio, del Júpiter deEspaña.

Poemas de Jean Charlot[26]

I

Au jeu de mêler corps, âmes,

débrouille bien l'échevau.

Anges, cygnes, à la dame,

au monsieur, gorets, chevaux.

Or mon cas inénarrable

fit fi de ce point, pour sot

ajouter à l'ange un râble

et des ailes aux pourceaux.

Désintégrons ce Sciva.

Tes bras, tes jambes, Eva,

rajuste-les à ton torse.

Trop tard. Nos cerveaux idem

nous sœur-siamoisent par force

sur l'incongru d'un tandem.

II

De la connaître, j'ai peur

de désirer comme un hâvre

la naturelle impudeur

des enfants et des cadavres.

Seule une odeur de tabac

m'en reste aux doigts, qui fut sienne,

et d'excuser les ébats

des veaux, vaches, chiens et chiennes.

Montreur, vos roquets savants

jouant des instruments à vent

font le beau. Tous s'en épatent.

Mais ces bêtes dévoyées

préféreraient aboyer

à quatre pattes.

III

La moitié de moi s'éloigne.

Qu'entêtée notre entité

calque l'évêque étêté

dont les tronçons se rejoignent.

Au travers des ku-klux pâles

nous sûmes nous unir plus

qu'au sein concave un fœtus

et que la femelle au mâle.

Ame à âme, corps à corps,

nous nous goûtâmes d'accord.

Méli-Mélo, mélodrame.

La scorpionne et le scorpion

s'étant pincés jusqu'à l'âme,

tu crus faire dame, pion.

IV

De quel sort, don d'un Nessus,

toujours présent, quoique allée,

peau, blet sachet d'azalée,

m'affublâtes-vous en sus.

Que votre viande au boucher

et vous aux pieds seriez douces…

Manteau-phénix, tu repousses

d'hors la cendre du brasier.

Je ne saurais passer outre

à l'absence de cette outre,

saôul d'avoir bu son vin neuf.

Deux en un, mi-doux, mi rêche.

Rajuste au noyau veuf

son derme et ton duvet, pêche.

V

Graffiti pour sa porte :

“Rapace aux blonds genoux

restons chacun chez nous.

Cette chandelle est morte.»

J'ai été l'indolent témoin de mon enfance[27]

J'ai été l'indolent témoin de mon enfance ;

Le public trop rusé

de mes lauriers guerriers et des tours dont, en France,

m'a Eros abusé.

ô Vie, je ne suis avide de vos trances

ni de les refuser.

Je me verrai vieillir avec indifférence

et mourir amusé ;

car n’étant point, terriens, d’entre ceux qui vous plurent[28]

Sans prétendre ici-bas mon habitat conclure

J'en gâchais les ciments

ayant,sûr des splendeurs nocturnes,[29]laissé cette

mienneâme, tout ce jour, sous un loup d’ossements

rireà pleine fossettes.[30]

J'ai été l'indolent témoin de mon enfance[31]

J'ai été l'indolent témoin de mon enfance,

L'amateur trop rusé

De mes lauriers guerriers et des tours dont en France

M'a Éros abusé.

Ô vie, je ne suis avide de vos trances

Ni de les refuser.

Je me verrais vieillir avec indifférence

Et mourir amusé.

C'est que n'étant de ceux qui trop t'aime, pelure,

Sans prétendre ici-bas mon habitat conclure,

J'en gâchais les ciments,

Ayant, sûr des splendeurs nocturnes laissé cette

Mienne âme, tout ce jour, sous un loup d'ossements

Rire à pleines fossettes.


[ 1 ] Carnet LaGrâce. Daté de septembre 1916.

[ 2 ] Mele, Numéro 4, août 1966, page 5 (sans numéro). Ecrit en septembre 1916.

[ 3 ] Carnet La Grâce. Daté de septembre 1916.

[ 4 ] Remplace : heureu [sic].

[ 5 ] Remplace : terr [sic].

[ 6 ] Alternative de l’original : (car nous ne le voyons pas).

[ 7 ] Remplace : saillent.

[ 8 ] Alternative de l’original : mobile.

[ 9 ] Remplace : rit des.

[10] Mele, Numéro 6, mai 1967, pages 5–6 (sans numéro).

[11] Charlot a écrit ce poème en 1917, juste avant son départ au front. Paru dans Mele, volume XIII, numéro 40, février 1978, pages III–IV, traduction d’Ernest Jackson, Jr.

[12] Celle-ci est la version finale du poème paru dans La Gilde, probablement dans le numéro du 25 février 1918. Une autreversion, à peine retouchée, a été publiée dans Mele, volume VIII, numéro 23, mars 1973, page 5 (sans numéro). Les quelques changements faits dans Mele n’ont pas éténotés ici.

[13] La version originale de ce poème se trouve dans le Notebook 1918, un cahier qui semble ne contenir que des poèmes de l’année 1918. Charlot a dit à John Charlot, le 6 octobre 1971, que lorsqu’il écrivait ce poème, il dormait dans les écuries, sur de la paille, et que “ce n’était pas drôle”. Tout ce qui a été rayé dans le manuscrit a été mis ici entre crochets.

[14] L’original se trouve dans le Red Line Notebook. Paru pour la première fois dans Mele,volume 7, sans numéro, avec l’explication suivante : “En argot du poilu”. Nous suivons ici l’original, tout en notant le seul changement fait par Charlot dans Mele. Sur la courverture, il a écrit : “Publié 50 ans après avoir été écrit. Un record !”

Les termes suivants peuvent être trouvés dans les dictionnaires spécialisés :

Esnault, Gaston, 1971 (réimpression de l’édition de 1919).  Le Poilu Tel qu’il se Parle.  Geneva: Slatkine Reprints. 

Esnault, Gaston, 1965.  Dictionnaire Historique des Argots Français.  Paris: Librairie Larousse.

Amocher = blesser, battre en ruine

bourrin = cheval, mulet, tocard, rosse 

bouseux = bousoux = paysan, canonnier

cocoter = gogoter = puer, devenir dangereux (“On nous recherche, ça cocotte”). 

Froc = pantalon

grolles = souliers

zinzin = obus, etc.

Traduction en anglais de John Charlot :

For all the buggers who kicked the bucket, for all the comrades

Who were so disgusted though they kept up their air of being smart,

For all those wounded, with no more nose, or crazy hands,

Who are so ugly/disgusting that there’s no one left to kick them.

For all those who ate gas (boy, how it stinks!)

For all those who bled into their boots all through a night

For all those who rubbed their nags full of pox/syphilis

When the shells rain down and fear makes them run.

For those who went on tinkering when it was the time to sleep!

For those who sent off their barrage, waiting for the response!

For those who were courageous and energetic and those who shat in their pants!

Heavy with leggings, whips, gas-masks, and filth

Driver-gunners, notaries, curates, peasant cannoniers, and those who wear glasses,

Cry-babies, carousers, and hard workers who have all been snuffed—give them grace!

[15] pus dans Mele; corrigé par Charlot et changé à plus.

[16] Manuscrit : où

[17] Construction probable de charet, ancien diminutif de char

[18] 15 août 1919.

[19] Rayé : Seigneur Seigneur voici le temps de me dédire

J’ai adopté des airs docte[s] de vieux rhéteur

[20] Rayé : Or j'ai compris qu'il fallait faire la lumière !

[21] Poème biffé. Au-dessous d’une note indiquée en bas de page, Charlot a ajouté plus tard “(idiot !)”

[22] Probably a variant of feteur : mauvais odeur, puanteur.

[23] Ajouté plus tard : (idiot !).

[24] Rayé : Espérons en l'arc-en ciel issu du déluge.

[25] Poème sans date mais mis entre les poèmes du 31 janvier et du 2 février 1922. Sur le manuscrit, Huy (ligne 1) et La (ligne 3) sont en lettres minuscules. Je remercie le professeur Marta Gonzalez-Lloret de sa correction sur épreuves du texte espagnol. Paru dans Mele, numéro 17, février 1971, page 11.

[26] Paru dans O. de M., “Motivos : Antología de Jean Charlot,” Contemporáneos, l’an 4, numéro 37, juin 1931, pages 263-271.

[27] Recueil 1925, daté du 29 janvier 1925.

[28] Remplace : Car n'étant point de ceux qui t'aiment trop, pelure.

[29] Remplace : d’une nuit splendide

[30] Remplace :

Et de l'enfance à la vieillesse écoutais cette

mienne âme, derrière l'éventail d'ossements

rire à pleines fossettes.

[31] Mele, Numéro 7, décembre 1967, page 1